mardi 19 juillet 2016

Nissa la Bella

Chère Nice.

Tu m’as accueillie, il y a 10 ans exactement. Tu m’as donné un diplôme, puis un boulot. Tu m’as mariée et tu as vu mes enfants naître. Sans que j’y prenne garde, tu es devenue mon chez moi.

On se connaît bien, toutes les deux. Je sais tes beautés et tes salissures. Je sais les rues où il faut lever la tête pour admirer tes merveilles, et celles où il vaut mieux surveiller ton trottoir. Je sais tes fragilités et tes déchirures, celles que tu caches et celles que tu assumes.
Je connais plutôt bien les Niçois. Les vrais comme les adoptés, les jeunes et les retraités, les touristes et les habitués. Je lis leurs courriers tous les jours. Il y en a qui t’adulent et te flattent, d’autres qui grognent et qui râlent. Mais tous t’ont dans la peau.

Et aujourd’hui, ils sont nombreux, ceux qui te pleurent, te soignent et te consolent.


Tes quartiers ont toutes les couleurs. Il y a ceux des cartes postales et ceux des tours grises ; il y a ceux du bord de mer et ceux nichés sur les collines. Et puis il y a le mien. Je l’aime d’amour, mon quartier, tu vois. Je trouve qu’il te ressemble, plein de vie, d’odeurs, de musique. Mais voilà, ce que peut-être tu ne sais pas, c’est que ses faux airs de village, sa socca et ses platanes, cachent une faille profonde, dangereuse. Un fossé plein de regards soupçonneux sur des voiles trop ajustés et de lèvres pincées sur une jupe trop relevée.

Oui, Nice, ça aussi, c’est toi. Et ça fait mal.

Alors, comme je n’imagine pas de te quitter, je prends la main de mes enfants et on saute par-dessus cette faille pour rejoindre leurs copains, leur école, celle de la République, celle qui apprend comment vivre ensemble, qui tente de combler le fossé. On saute, mais jusqu’à quand sauterons-nous assez loin ? A toi je peux le dire, parfois j’ai peur de ne plus y arriver et de vouloir fuir ce quartier. Je me sens impuissante devant sa violence ordinaire, prisonnière de cette ambiance délétère qui ne s’assume pas, blessée par les tensions que l’on dit extra-communautaires et qui t’abîment.


Chère Nice, ton assassin, ton meurtrier, habitait à quelques rues de la mienne. J’en suis plus en colère que réellement bouleversée. En colère parce que trop de yeux se sont fermés sur les sonnettes d’alarme tirées. Et quelle solution à l’horizon ? Rien, rien, rien, seulement l’espoir que nos enfants, au prix de leur innocence, sauront faire mieux que nous.


Nice ma Belle, Nice Reine des Fleurs, je continue à vivre, à rire, à sortir. Je résiste à la tentation de l’abandon, à la tentation de la haine. Je me dis que là réside ton salut. Je marche dans tes rues de soleil, je déjeune dans tes parcs, je regarde tes amoureux, je me persuade que tu vas bien, malgré tout, malgré eux. Je continue d'espérer que les choses finiront par s'arranger, que le vivre ensemble et les jolis mots dont j'arrose mon travail deviendront un jour réalité. Que plus aucun quartier, aucune ville du monde ne saignera comme tu as saigné. 

Je ne céderai pas, je ne m’enfermerai pas, je continuerai d'y croire. Parce que c’est ce que tu mérites. Toi dont la beauté orgueilleuse et insolente est la meilleure des réponses à ceux qui essaieront d’éteindre tes lumières.


Florilège & Co

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Trentenaire, amoureuse, maman, active. Ne cuisine pas, ne coud pas, ne colorie pas. Bouquine, écrit, court après le temps tout le temps.